En Mémoire de Pierre Rigaud
Décédé le 10 Janvier 2006 à Puerto Rico
La "Fundación Civica Haitiano-Caribeña, Inc." pour
rendre hommage à Pierre Rigaud a utilisé des informations provenant:
· - des membres de sa famille pour les données personnelles
et familiales;
· - de l’ex-présidcnt Leslie F. Manigat qui, de l’avis
de Pierre lui-rnême, est celui qui connaissait le mieux sa trajectoire
dans la politique;
· - des opinions diverses émises au sujet des qualités
de Pierre, surtout par ceux des membres de notre Fondation qui ont vécu
Ic plus près de lui durant les dernières années de son
existence.
Pierre le Patriarche
Plusieurs années avant de nous quitter à l’âge de
93 ans, Pierre était devenu le patriarche de Ia famille Rigaud, originaire
de Petit-Goâve à Dautant, localité où tous ses ancêtres
ont été enterrés. Ses funérailles à Puerto
Rico se sont déroulées en présence de tous ses enfants
et de nombreux neveux, nièces, cousins et cousines qui n’ont pas
hésité à venir de très loin pour rendre un ultime
hommage bien mérité à celui qui, selon une tradition familiale
religieusement respectée, avait parfois exposé sa propre vie
pour aider les membres de la farnille Rigaud. Le patriotisme éprouvé de
Pierre avait donc sa source dans un concept familial hautement responsable
qui identiflait la Patrie cornme le prolongernent de la famille. Cela explique
que les compatriotes de Pierre l’aient aussi apprécié sur
le plan patriotique comme leur patriarche à San Juan, et la petite colonie
haitienne de San Juan le lui a manifesté le jour de ses funérailles.
Andre Cassagnol
Biographie de Pierre Rigaud
Par Leslie Fançois Manigat,
35ième Chef D’État de Ia République d’Haiti
Pierre L. Rigaud, d’une famille de Petit Goâve, né le 29
avril 1912 d’un père avocat et élevé par son père
adoptif médecin, Ic Docteur Ludovic Rigaud, il embrasse la carrière
des armes en entrant a l’Académie militaire (sixième promotion
octobre 1931-31 juiflet 1933), Ia dernière promotion de I’occupation
militaire américaine. Il reste officier (condisciple de jeunesse de
Roger Dorsétienne alors cadet cornme lui et reste son ami jusqu’ à la
mort de ce demier) jusqu’à l’affaire Calixte (complot de
1937 sous et contre Vincent), à la suite de laquelle l’épuration
le fait renvoyer de l’armée. En difficultés matérielles
sous Lescot, il troque alors l’ancien uniforme militaire qu’iI
portait bien pour l’habit du professeur quand, peu après, il est
nommé au Lycée national Alexandre Pétion.
En 1946, le courant de la révolution anti-Lescot le porte aux affaires,
en même temps que son frère Roger, cependant plus quarante-sizard
que lui. Roger, aprés d’autres fonctions qui l’auront mis
en notoriété dans le nouveau régime des "authentiques",
sera un puissant préfet de Port-au-Prince en octobre 1949, mais, seulement,
pour six mois, puisque le président Dumarsais Estimé perd le
pouvoir en mai 1950. Pierre, lui, embrasse la carrière diplomatique.
Son premier poste, après la chute de Lescot, est au Consulat d’ Haiti, à Santiago
de Cuba où il fait sien le cas des ""viejos" haïtiens.
Il a garde ses relations et ses affinités avec la colonie haïtienne
de Cuba pour le reste de sa vie. Puis à I’Ambassade d’Haïti à Santiago
du Chili, il fait fonction de Conseiller en décembre 1948. II sera promu
Envoyé Extraordinaire et Ministre Plénipotentiaire d’Haïti
au Brésil (il présente ses lettres de créances le 23 décembre
1953).
Bel homme, l’ancien officier fera sensation comme noir vertical, élégant,
affable et prestigieux pendant le règne de Paul Magloire. II sait séduire
et pratique la diplomatie de ""représentation" avec des
succès diplomatiques et aussi, ce qui ne gâte rien, sociaux et
d’une same mondanité y compris féminins. Plus sérieusement,
il va vite nouer des relations avec la petite élite noire instruite
de Rio de Janeiro qui fréquente l’Ambassade et devient un familier
d’homrnes d’avenir comme Da Nascimiento, futures étoiles
du mouvement culturel de promotion raciale de nos congénéres
brésiliens. Le Brésil l’a marqué bien qu’il
n’y soit pas resté longtemps. Le voici Ambassadeur à Cuba
en 1954 à un moment où Magloire commence à avoir du plomb
dans l’aile. Il se sentira un peu amoindri quand il devra accepter le
poste "éloigné" d’ambassadeur d’Haïti
au Libéria (1956-1957).
Sa carrière diplomatique ne se prolongera pas sous le gouvemement de
Duvalier au début duquel il quitte le pays pour entrer peu après
dans l’opposition à partir de la République Dominicaine.
En 1960, il est membre fondateur à Santo Domingo de l’Union Démocratique
Nationale (UDN). En juin 1963, il est membre du Comité de Direction
des Forces Armées Révolutionnaires Haïtiennes. Il est activement
engagé dans les tentatives d’invasion du Général
Cantave et du père Jean-Baptiste Georges qui échouent comme les
autres. Duvalier, invaincu sinon invincible, mourra dans son lit, et son fils
de 19 ans Jean-Claude lui succédera en 1971.
C’est alors que se produisit dans la vie de Pierre Rigaud cet épisode
significatif de sa démarche à Paris on il est venu chez sa fille
Nicole à cette seule fin de persuader un compatriote alors professeur à I’Université de
Paris, de s’engager dans la politique active contre la dictature haltienne
qui voulait se perpétuer, alors que celui-ci, exilé comme lui, était
tout à sa carrière académique ascensionnelle. C’était
en 1972, l’année de l’achèvement de la préparation
du livre "Évolution et Révolutions: L’Amérique
Latine au XXème siècle 1889-1929" qui devait paraître
en 1973 dans la série des Publications de La Sorbonne.
Pierre Rigaud attendra sept ans avant d’avoir raison quand sera lancé en
mai 1979 à Caracas ce qui deviendra le Rassemblement des Démocrates
Nationaux Progressistes (RDNP) avec un manifeste de Manigat intitulé "Les
impératifs de la Conjoncture" dont la première édition
bilingue créole-français sera préparée et imprimée à Porto
Rico, avec la collaboration technique de Jean-Claude Bajeux, Roger Savain et
Pierre Rigaud.
Ce dernier sera du gouvernement de Manigat, en 1988, au titre de Grand Conseiller
spécial au Palais National où il put jouer de son influence d’aîné écouté avant
de faire de la prison à son âge quand ce gouvernement sera renversé par
les militaires la rnême année. Mais il est vrai, ceux-ci se souvinrent
assez vite qu’ils devaient avoir des égards avec un ancien militaire
de son âge et de sa carrière civile. Sans être un animal
politique comme bien de ses contemporains et émules, Pierre Rigaud aimait
sans doute le pouvoir, son entourage et son apparat, mais il avait gardé la
candeur pudique des honnêtes gens à le vouloir pour le bien du
pays et à le voir à chaque expérience de gouvernement à laquelle
il voulait donner sa chance. De là ses sincérités successives
souvent déçues.
La vie de Pierre Rigaud s’est déroulée dans la fidélilé à des
amities solides, même si, parfois, intermittentes, du fait des circonstances
de la vie. Mille-neuf-quarante six (1946) a été un tournant dans
sa vie, avec les gouvemements d’Estimé et de Magloire sous lesquels
il a connu le cursus des honneurs, mais à la différence de son
Frère Roger, si fidèlement associé à son affection,
il n’en a pas gardé l’esprit. On citera, comme témoignages
de son ouverture d’esprit sociopolitique, ses relations avec Georges
Rigaud (le dentiste) en qui il voulait voir un présidentiable qui pourrait être
son choix; Pierre Hudicourt son ami fraternel de longue date, notamment à la
Chancellerie; Paul Vema un combattant de la liberté installé à Caracas,
avant de devenir vénézuélien, à part entière,
et apprécié comme tel.
À Porto-Rico où il a passé la demière pantie d’une
vie modeste de travailleur indépendant, ii a connu une retraite de patriarche
respecté, serviable et vénéré, adonné à sa
passion favorite de lecteur éclectique, toujours privilégiant
les affaires de son pays où ses souvenirs de vieux lutteur accompagnaient
ses pensées de patriote d’origine petit-goâvienne, Petit-Goâve, "la
patria chica". Il a laissé une nombreuse progéniture au
gré de ses pérégrinations, dont ses deux filles aînées
Mady et Nicole.
Pierre Rigaud ? Ce fut un bel échantillon d’haïtien à l’ancienne
mode sans être un "ancien Haïtien", un traditionnel de
mérite portant sa dignité sans faconde, un bel exemplaire de
grand Patriote.
L.F.M. (Leslie Francois Manigat)
Pierre le serviteur public, le patriote et l’ami de tous
Ces caractéristiques de la personnalité de Pierre ont accompagné constamment,
autant le patriarche familial que le serviteur public, et méritent qu’on
s’y arrête pour conclure cet hommage de la "Fundación
Civica Haitiano-Caribefia, Inc.".
Pierre jouissait en retour d’un profond respect et d’un immense
prestige dans la communauté haitienne vivant à l’étranger,
surtout celle de Puerto Rico.
Ses compatriotes de Puerto Rico et d’ailleurs venaient fréquemment
le consulter sur les thèmes les plus divers. Pierre était toujours
accessible à tous et à tout.
Le gentleman parfait, aux manières raffinées, accordait un profond
respect à tous ceux qui l’approchaient et, avec l’âge,
cette attitude frisait l’humilité. Son respect pour tous ses contemporains
explique, malgré sa vaste expérience des hommes et des faits
de son époque, qu’il n’ait pas accepté les pressions
de son entourage qui ne cessait de lui demander d’écrire ses Mémoires.
En aucune façon il ne voulait froisser ceux-là qui ne s’étaient
pas montré corrects dans certaines situations critiques, vécues.
Le souci même de faire de la peine à leurs descendants l’empêchait
de dévoiler le comportement indigne des autres. C’est pourquoi
Pierre, malgré les nombreuses déceptions vécues quand
ceux à qui il prodiguait des conseils, agissaient à l’encontre
de ses recommandations. Pierre, le plus souvent, se contentait de se lamenter,
en privé, à un proche, sans jamais exprimer, publiquement, un
désaccord quelconque avec ceux qui le consultaient.
La formation militaire reçue après ses études secondaires,
classiques est, sans doute, à l’origine des traits de fermeté et
de leadership retrouvés chez Pierre.
Le très jeune militaire inexperimenté en politique qui avait
failli perdre sa vie en participant à un complot de coup d’état
contre un gouvermement constitutionnel avait bien appris sa leçon. Devenu
un adulte expérimenté Pierre s’était mué en
constitutionaliste irréductible, de ceux qui placent la Constitution
d’un pays et les normes morales et légales au-dessus de toutes
sortes de situations pouvant exister. II ne faisait donc aucune confiance aux
tractations "politiciennes" si courantes en Haïti. II pensait
qu’en fin de compte les aspects négatifs de ces arrangements irréguliers
et illégaux finiraient toujours par entraver les bénéficiaires,
victorieux en apparence seulement dans les débuts.
La ferveur patriotique de Pierre était tellement intense qu’elle
s’est maintenue vive jusqu’aux demiers moments de sa vie. Après
la chute du second mandat de Jean Bertrand Aristide ii n’a pas hésité de
se rendre en Haïti une demière fois pour faire bénéficier
de ses conseils à un des ses amis autrefois résident à Puerto
Rico qui avait l’habitude de le consulter. Hélas, comme cela lui était
déjà arrivé, son dernier déplacement vers son pays
fut en vain. C’est ainsi que le rêve de Pierre de vivre ses demiers
jours à Dautant ne s’est pas réalisé, pas plus que
celui de revoir une Haïti fière et digne.
Pierre Rigaud fait partie d’une génération qui s’est
imposée avec un sens civique poussé. Patriote haïtien dans
son essence, une grande partie de sa vie a été consacrée à préserver
et à essayer de rétablir ce qu’il pensait être l’Haïti
de prospérité, de paix, l’Haiti de ses rêves. Son
sens du devoir était profond avec une intégrité absolue.
Dr. André Rigaud.
J’ai fait la connaissance de Pierre en 1972 quand il dirigeait sa boutique "Unisex" à Santurce,
P.R. J’a appris à l’apprécier, au fur et à mesure,
durant 34 ans.
Toujours fidèle à ses convictions politiques, il s’était
rendu compte, vers la fin de sa vie, que l’union n’existait pas
chez ses compatriotes, car son grand amour était Haïti. Je l’ai
vu s’éteindre comme un solitaire mais très ferme dans ses
croyances et très près de Dieu. II disait son chapelet tous les
soirs
Je ne l’oublierai jamais
C’est avec peine que j’ai appris la mort de Pierre Rigaud. Pierre
est l’un des derniers haïtiens dont nous disons que "des comme
cela on n’en fait plus".
Je l’ai rencontré pour la première fois à Ia Havanne.
Il était, en Février 1954, ambassadeur d’Haïti auprès
du gouvemement de Batista. J’étais boursier du gouvemement cubain à l’Académie
Naval del Mariel, Pinard del Rio. Les "week-end" des fins de mois,
je les passais, chez lui, dans une chambre qu’il m’offrait généreusement.
J’ai revu Pierre, en 1962, à Puerto Rico où il avail un
magasin de vêtements "Unisex".. Grace à lui et à ses
bonnes relations avec Juan Bosch, devenu Président de la République
Dominicaine, tous les haïtiens qui participaient à la lutte contre
Duvalier furent reçus à bras ouverts en République Dominicaine.
Pierre aidait toujours les haïtiens qui le lui demandaient. Vivant en
France et, plus tard, à St. Thomas, tout au long de cette longue "nuit" des
Duvalier, je voyais Pierre chaque fois que j’allais à P.R.. Après
le départ des Duvalier, Pierre et moi nous sommes revus en Haïti.
Mon respect pour ce patriote n’a jamais changé, il m’a toujours
considéré comme son fils et c’est avec fierté que
je lui dis "ADIEU, Mon Père, avec ton départ les Haïtiens
ont reçu un coup mortel."
Jean Pierre N. Gaetjens.
Bien avant ma naissance, existaient des liens de profonde amitié entre
les familles de Pierre RIGAUD et de Christian AIME. Durant mon adolescence,
j’entendais souvent mentionner chez moi, le nom de Pierre Rigaud, vu
l’amitié entre ma mère et Mady et Nicole; cependant je
n’eus jamais l’occasion de le rencontrer personnellement en Haiti,
car à cette époque il occupait le poste de diplomate dans différents
pays.
J’ai rencontré Pierre à San Juan, où il a vécu
une grande partie de son exil politique. À partir de ce moment, allaient
s’initier de grandes relations entre lui et moi. Je Iui rendais visite
une fois par semaine, et ces visites devinrent beaucoup plus fréquentes
durant les dernières cinq années qui précédèrent
son décès; à cette époque, je jouissais d’une
retraite bien méritée. Nous discutions des thèmes politiques,
sociaux et historiques sur Haïti, ce qui me permit de découvrir
en Pierre l’homme sensible, l’homme humble, l’homme patriote
et enfin l’homme imbu d’une profonde connaissance sur ces dits
thèmes.
Jacques Aimé.
Courtoisie de la "Fundación Civica Haitiano-Caribeña,
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